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Lutte contre les bactéries multirésistantes en urologie - la sensibilisation et l'éducation sont essentielles

Le Dr José Medina-Polo, docteur en Médecine et Chirurgie, est membre de la Faculté d'Urologie au sein du Département d'Urologie de l'Hôpital Universitaire 12 de Octubre, HM Hospitales & ROC Clinic à Madrid, en Espagne. Depuis 2016 dans cet hôpital, il est également membre de la Commission on Healthcare Associated Infections, Prophylaxis and Antibiotics (Commission sur les infections associées aux soins de santé, la prophylaxie et les antibiotiques). Il est également membre de la Commission on Healthcare Associated Infections (HAI) (commission des infections associées aux soins) de son hôpital, laquelle décide des stratégies locales et des actions de sensibilisation.

Nous avons réalisé un entretien avec le Dr José Medina-Polo, au cours duquel il parle de son expérience dans le domaine de l'urologie avec les infections des voies urinaires, les bactéries multirésistantes et la résistance aux antimicrobiens (RAM). Pour découvrir ce qui, selon lui, contribuera à ralentir le développement de la résistance et ce que les urologues peuvent faire spécifiquement pour jouer leur rôle dans la lutte contre les bactéries multirésistantes et la RAM, nous vous invitons à poursuivre votre lecture.

Pour nous, urologues, il est très important d'obtenir des résultats d'analyse, par ex. d’urocultures ou d’hémocultures, le plus rapidement possible.

La RAM a-t-elle un impact économique mesurable sur le traitement des patients dans le domaine de l'urologie ? Existe-t-il un impact mesurable sur les ressources dont nous avons besoin pour traiter les patients atteints d’une infection des voies urinaires (IVU) en raison de la résistance aux antimicrobiens (RAM) ?

Je n'ai pas les chiffres, mais il est vrai que les patients présentant des infections nosocomiales et atteints par des bactéries multirésistantes (BMR) ont un taux d'hospitalisation plus élevé et une durée d'hospitalisation nettement plus longue. Si l'on considère que, selon des calculs effectués aux États-Unis, un lit de patient pour une infection des voies urinaires coûte environ 900 $/jour, l'incidence est claire. Les antibiotiques que nous utilisons pour traiter ce type d'infections sont plus chers que les antibiotiques de première ligne et la durée du traitement, plus longue. De plus, les sollicitations du système de santé en termes de ressources augmentent, puisque ces patients sont envoyés vers un urologue et que leur cas nécessite une évaluation par un comité PROA (Programme d'Optimisation de l'Utilisation des Antibiotiques), ce qui augmente les coûts indirects. Après une infection par des bactéries multirésistantes, il est également nécessaire d'avoir une uroculture après l'infection pour assurer la réussite du traitement. A ces points, nous ne considérons naturellement pas les coûts associés à la morbidité des patients.

Voyez-vous des patients qui souffrent d'infections causées par des bactéries multirésistantes dans la pratique quotidienne ou s'agit-il encore de cas isolés ?

Le taux d'infection par BMR chez les patients atteints d'infection urinaire nécessitant une hospitalisation dans notre hôpital est de 20 %, ce qui indique que les infections nosocomiales sont de plus en plus fréquentes. Concernant les infections communautaires, les statistiques de la région de Madrid montrent qu'environ 3 à 4 % des cas sont des infections à bactéries multirésistantes. C'est un chiffre pertinent si l'on considère qu'on en observait moins de 1 % il y a seulement 20 ans.

Le nombre d'infections à bactéries multirésistantes a clairement augmenté au cours de la dernière année, en raison de l'augmentation de la prescription d'antibiotiques dérivés de la pandémie de COVID-19. Cette observation n'est pas seulement applicable au service d'urologie, mais à l'ensemble de l'hôpital. Les bactéries multirésistantes n'ont pas seulement affectées les patients COVID ; la tendance a également été observée chez les patients qui ont dû être hospitalisés pour d'autres raisons.

Dans mon esprit, la voie à suivre est très claire et peut se résumer en un seul mot : éducation.

À quelle fréquence les patients atteints d'infection urinaire finissent-ils par développer une urosepsie ou même une septicémie ? Ce genre de complication est-il une réalité dans la pratique de l'urologie ?

Cela dépend vraiment du profil du patient et de ses antécédents médicaux. Si l'on prend comme référence des femmes pré-ménopausées sans comorbidités, il n'est pas habituel qu'une IVU évolue en septicémie. Le tableau change si l'on considère les infections urinaires plutôt complexes. Chez les patients présentant des malformations des voies urinaires ou touchés par des lithiases urinaires, la septicémie est une réalité. Nous observons de nombreux patients lithiasiques qui développent une septicémie à partir d'une infection urinaire.

Heureusement, les bactéries multirésistantes ne sont pas si courantes dans les infections communautaires. Par contre, chez les patients en contact avec le système de santé (ayant reçu un traitement contre la lithiase, les patients cathétérisés, les patients greffés, etc.), les infections à bactéries multirésistantes représentent un risque réel. C'est pourquoi il est si important de classer les patients selon les critères compliqués/non compliqués.

Et cela met en évidence la pertinence de la détermination des bactéries affectant les patients atteints d’une infection des voies urinaires et de leur profil de sensibilité/résistance aux antibiotiques.

En effet. Le point le plus important est la réalisation d'études observationnelles. Dès lors vous pourrez déterminer la situation réelle du patient en fonction des facteurs de risque. Après la conduite d'études observationnelles internes, nous avons pu déterminer certains facteurs de risque clés susceptibles d’induire une infection à bactéries multirésistantes, tels que l'insertion de cathéters dans les voies urinaires supérieures ou certains types de chirurgie. Nous traitons ces patients comme des patients infectés par des bactéries multirésistantes pour prévenir les complications. Ainsi, il est essentiel d'analyser vos propres données pour établir les facteurs permettant de définir le profil de risque, sinon vous naviguez dans le brouillard pour décider du traitement à prescrire. Les études observationnelles sont importantes pour adapter vos décisions de traitement à la réalité observée dans votre communauté locale. Cela devrait être soutenu par les sociétés scientifiques et l'administration.

Lorsque nous parlons de recueillir autant d'informations que possible sur les patients, nous nous rapprochons de la thématique du diagnostic. De votre point de vue, quels sont les outils diagnostiques qui manquent en urologie ? Quels sont les aspects sur lesquels l'industrie du diagnostic devrait concentrer ses futures innovations ?

En plus des études observationnelles, le délai d'obtention des résultats est un facteur majeur. Pour nous, urologues, il est très important d'obtenir des résultats d'analyse, par ex. d’urocultures ou d’hémocultures, le plus rapidement possible. Tant que nous n'avons pas ces résultats, et actuellement les temps d'attente peuvent monter à deux jours, nous naviguons dans le brouillard pour décider des options thérapeutiques. Nous devons connaître les facteurs de risque du patient, avoir accès à des résultats rapides, puis adapter les antibiotiques nécessaires à ce cas particulier, pour utiliser le médicament le plus indiqué. De cette façon, nous pouvons minimiser le développement de la résistance aux antibiotiques à long terme.

Pour poursuivre notre progression, nous devons vraiment coordonner nos efforts. Que fait-on en ce moment à votre niveau local (dans votre hôpital, dans la région de Madrid…) pour coordonner la lutte contre la RAM ?

Dans mon esprit, la voie à suivre est très claire et peut se résumer en un seul mot : éducation. Bien sûr, comment construire ce parcours est une question complexe, car il faut inclure tous les maillons de la chaîne : médecins, infirmiers, patients, mais aussi famille et autres personnels hospitaliers. Dans notre cas, dans le service d'urologie de l'hôpital, nous avons commencé il y a 10 ans par l'analyse de notre situation (étude observationnelle), la création de protocoles spécifiques et la formation du personnel hospitalier (à tous les niveaux, surveillants, médecins, infirmières, etc.). Nous avons défini un ensemble de recommandations pour les patients et leurs familles. L'hôpital a également contribué au projet en facilitant l’accès au matériel permettant de donner la priorité à l'hygiène. Nous avons également mis en place un programme de tutorat/coaching, dans lequel un praticien spécialisé en maladies infectieuses observe les procédures adoptées par des collègues et les coachs si les mesures requises ne sont pas respectées.

Comme c'est le cas pour de nombreux autres sujets, le monde a besoin d'une réponse coordonnée et unifiée à la résistance aux antimicrobiens. Ce ne sera pas efficace si seules des initiatives locales avec des protocoles individualisés sont mises en œuvre.

Nous sommes également actifs sur les réseaux sociaux. Notre hôpital a mis en ligne des vidéos destinées au grand public et visant à expliquer comment les agents pathogènes sont transportés et transmis, etc. Récemment, j’ai vu une campagne télévisée de notre ministère de la Santé sur la nécessité d'éviter l'utilisation d'antibiotiques pour traiter un rhume ou une grippe. Ces campagnes n’entraînent certes pas des changements de mentalité pour le grand public, néanmoins, nous pouvons toucher certaines personnes, qui s'en tiennent alors aux bonnes pratiques.

Fait intéressant, si la pandémie de COVID-19 a une influence négative sur la RAM, elle a en revanche une influence positive sur la prévention. La personne lambda connaît désormais mieux les mesures d'hygiène et tente de briser les chaînes de transmission. C'est un exemple de la façon dont l'éducation, dans un large panel, peut fonctionner.

Concernant les campagnes de sensibilisation, pensez-vous que l'administration y participe activement ? L’administration attache-t-elle de l’importance au problème et lui alloue-t-elle les ressources nécessaires ?

Oui, c'est une priorité pour l'administration et des ressources sont allouées pour la sensibilisation. Cependant, nous nous heurtons au problème suivant : les actions entreprises ne touchent pas correctement les professionnels de santé et le grand public. En tenant compte de qui se fait dans d'autres pays, nous devons travailler sur la façon de transmettre le message au public. Les autorités nationales et régionales mènent régulièrement des études pour évaluer l'évolution de la résistance aux antimicrobiens et lancer des campagnes de sensibilisation. L'impact qu'ils ont en dehors de la communauté médicale est cependant limité.

Parlons des patients… Les patients que vous voyez dans la pratique quotidienne comprennent-ils la RAM ? Connaissent-ils le problème et les limites des antibiotiques ?

Cela s'améliore clairement. Il y a cinq ans encore, de nombreux patients s'attendaient à une prescription d'antibiotiques pour les infections urinaires. Actuellement, les urologues, qui traitent très souvent des IU récidivantes, s’inscrivent dans la pratique opposée. De nombreux patients ayant déjà été traités par antibiotiques demandent à leur médecin d'éviter, si possible, une nouvelle prescription d'antibiotiques. D'une certaine manière, ils ont réalisé que les antibiotiques ne sont pas nécessairement la solution. Ce changement d'attitude s'est accentué ces dernières années. On voit que cette préoccupation est partagée, au moins, par les patients qui ont déjà reçu un traitement antibiotique.

Sans chercher à philosopher sur le sujet, on pourrait se demander où nous mène la RAM ? Devrions-nous nous inquiéter, voire avoir peur, ou avons-nous encore des chances d’inverser la tendance ?

Réponse courte : les deux sont corrects. Il est certain que la résistance aux antimicrobiens entraînera des décès et une augmentation de la morbidité à l'avenir. Parallèlement, la médecine continue d'évoluer et nous offrira des outils pour freiner le développement de la RAM. Nous devons comprendre que la résistance aux antimicrobiens continuera de croître. Nous devons également considérer qu'au cours des dernières décennies, pratiquement aucun nouvel antibiotique n'a été développé. Dans l'ensemble, c'est un problème, et nous verrons des décès causés par le bactéries multi-résistantes, mais nous mettons en place, étape par étape, des outils pour y faire face. Bien que nous mettions déjà des mesures en place, le rythme du changement doit s’accélérer.

Pourtant, j’entrevois la lumière au bout du tunnel. Je pense qu'il faut être optimiste puisque nous avons des campagnes régulières et qu'elles contribuent à la lutte. Le changement dans la perception que nos patients ont des antibiotiques est déjà tangible – de plus en plus de patients sont préoccupés par les dangers de l'utilisation des antibiotiques.

L'une de nos principales préoccupations devrait être le développement de la RAM dans les pays aux ressources limitées et où le système de santé n'est pas très développé. Dans ces cas, aller de l'avant en créant et mettant en œuvre des protocoles pour lutter contre la RAM sera certainement plus difficile. Comme c'est le cas pour de nombreux autres sujets, le monde a besoin d'une réponse coordonnée et unifiée à la résistance aux antimicrobiens. Ce ne sera pas efficace si seules des initiatives locales avec des protocoles individualisés sont mises en œuvre.

Avoir des protocoles homogènes ressemble vraiment à la voie à suivre. Comme l’a récemment montré la pandémie, il n'est pas efficace si les efforts ne sont pas coordonnés au niveau international. En sommes-nous déjà à ce stade, au moins, en Europe ?

Je pense que oui. En particulier dans le domaine de l'urologie, l'European Association of Urology (Association européenne d'urologie) a réalisé un travail important en rassemblant des données à travers l'Europe. Même si les souches bactériennes et leurs modèles de résistance ne sont pas entièrement comparables d’un pays européen à l’autre, l'EAU a homogénéisé les protocoles et les critères de prise de décision sur la façon de procéder dans chaque cas, y compris les étapes de diagnostic. Nous avons maintenant des protocoles homogènes et des recommandations de traitement.

Néanmoins, ces protocoles homogènes doivent être replacés dans le contexte local. À mon avis, l'avenir passe par l'utilisation des nouvelles technologies pour cerner les caractéristiques du patient afin d'obtenir une réponse diagnostique personnalisée, adaptée à cette personne et aux défaillances qui la touchent. Le résultat que nous devons atteindre repose sur la création d’outils qui donnent la réponse : l'antibiotique indiqué pour traiter ce patient est X. Cela inclut également la sélection d'antibiotiques dans les résultats d'un antibiogramme pour prolonger la durée de vie des antimicrobiens existants.

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